75 / 100

DE LA CONCILIATION A LA MEDIATION FAMILIALE AU MAROC: UNE SOLUTION AU SERVICE DE LA FAMILLE?

RESUME 

Depuis l’adoption du code de la famille en 2004, la question de la conciliation est devenue un enjeu majeur principalement dans les affaires de divorce. L’article 82 dudit code stipule que le juge doit encourager la conciliation entre les parties en conflit, avant de prononcer un jugement définitif.

Cette disposition vise à éviter les litiges longs et coûteux pour les parties, et à préserver les liens familiaux autant que possible. Cependant, malgré cette volonté affichée de conciliation, les résultats sont souvent décevants et les limites de ce processus sont de plus en plus critiquées.

L’examen des expériences menées sur le plan international laisse croire que la médiation familiale est une alternative crédible et nécessaire pour promouvoir le règlement amiable des conflits familiaux et préserver la stabilité de l’institution familiale.

Mots Clés: conciliation, médiation Familiale, règlement amiable des conflits, Famille, Divorce.

FROM (RE) CONCILIATION TO FAMILY MEDIATION IN MOROCCO: A SOLUTION AT THE SERVICE OF THE FAMILY?

ABSTRACT

Since the adoption of the Family Code in 2004, the issue of (re)conciliation has become a major issue, mainly in divorce cases. Article 82 of the Code states that the judge must encourage (re)conciliation between conflicting parties, prior to deliveriung a final verdict.

This arrangement aims to avoid long and costly conflicts for the parties, and to preserve family privileges as much as possible. However, despite the shown willingness for conciliation, the results are often disappointing and the limits of this process are increasingly criticized.

The examination of the experiences carried out at the international level suggests that family mediation is a credible and necessary alternative to promote the amicable settlement of family conflicts and preserve the stability of the family institution.

Keywords: Family, (Re)conciliation, Family Mediation, Amicable Conflict Resolution, Divorce.

 

INTRODUCTION

Le code de la famille de 2004 est sans équivoque l’une des manifestations de la volonté du législateur de protéger l’institution familiale qui jouit d’une importance particulière au Maroc. En atteste l’article 32 de la constitution du Royaume qui énonce que «la famille, fondée sur le lien légal du mariage, est la cellule de base de la société. L’Etat œuvre à garantir, par la loi, la protection de la famille sur les plans juridique, social et économique, de manière à garantir son unité, sa stabilité et sa préservation».

En réponse aux profondes mutations structurelles, relationnelles et culturelles qu’a connues la famille marocaine tout au long de la période post indépendance[1], de nouvelles règles, considérées comme égalitaires, ont été instituées marquant ainsi l’histoire de la justice marocaine de la famille.

Les dispositions dudit code ont le mérite de bouleverser la situation hiérarchisée, dans laquelle les femmes furent placées sous l’ère du Code du Statut Personnel (CSP), et d’instaurer une vision égalitaire à même de reconnaitre aux femmes des droits et des responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution.

En effet, le législateur, à travers les dispositions du livre II du code de la famille portant sur la dissolution du mariage et de ses effets, a conféré l’exercice du droit de divorce à l’époux et à l’épouse, selon des conditions légales propres à chacune des parties et sous contrôle judiciaire[2]. L’objectif étant de limiter l’usage abusif de ce droit reconnu auparavant comme une prérogative exercée, quasi exclusivement, par le mari et de garantir la protection des droits et des intérêts de l’ensemble des parties concernées notamment les enfants.

Dans le souci de préserver l’unité de la famille autant que possible, une procédure de conciliation a été instaurée afin de convaincre les époux de renoncer à leur décision de rompre le lien conjugal qui les unit. La conciliation est une étape déterminante dans tous les cas de figure de divorce qu’il s’agisse d’un divorce sous contrôle judiciaire[3] (art. 81 et 82) ou d’un divorce judiciaire[4] (art.94, 113 et 120). Exception faite du divorce pour cause d’absence du conjoint.  En outre, il convient de mentionner que le tribunal procède également à une tentative de conciliation lors de l’examen d’une demande d’autorisation de la polygamie (art.44).

Le code de la procédure civile prévoit aussi le recours à la tentative de conciliation en matière de statut personnel[5] (art.180) notamment dans les affaires portant sur la pension alimentaire, la garde et les droits de visite des enfants.

Certes, la conciliation est une phase inévitable dans les affaires de divorce depuis l’entrée en vigueur du code de la famille en 2004. Mais, force est de constater que les résultats sont souvent décevants. En outre, l’importance voire l’explosion des dossiers de divorce traités par les juges de la famille conduit à la réduction de la conciliation à une simple formalité à remplir avant de prononcer un jugement définitif ou d’autoriser le divorce. Cette situation rend nécessaire l’exploration d’autres alternatives de résolution des litiges familiaux notamment la médiation familiale.

De ce fait, deux problématiques de recherche se posent:

  • dans quelle mesure la conciliation judiciaire, initiée par le juge de la famille, contribue-t-elle à la résolution des litiges conjugaux ?,
  • la médiation familiale pourrait-elle constituer une méthode alternative plus efficace pour résoudre les conflits familiaux et préserver la stabilité de la famille ?

Ceci nous conduit à formuler les hypothèses suivantes : d’une part, la conciliation judiciaire, bien que prévue par le Code de la famille, se révèle souvent une formalité sans impact significatif sur la résolution des litiges conjugaux. D’autre part, la médiation familiale pourrait représenter une méthode alternative plus efficace pour résoudre les conflits familiaux et garantir la stabilité de la famille marocaine.

La méthodologie de recherche adoptée pour traiter notre sujet comprend une analyse des textes juridiques pertinents ainsi qu’une comparaison des pratiques juridiques en matière de médiation familiale. Cette approche analytique permet de comprendre les fondements légaux et d’évaluer l’efficacité des différentes méthodes utilisées pour résoudre les conflits familiaux.

Ce sujet est pertinent dans la mesure où il traite une problématique cruciale dans la société marocaine contemporaine, à savoir la stabilité de l’institution familiale face aux mutations socio-économiques et culturelles. En effet, la conciliation judiciaire et la médiation familiale sont des mécanismes visant à résoudre les conflits conjugaux et à protéger les intérêts des enfants. En explorant ces mécanismes, cette recherche pourrait formuler des recommandations pour améliorer les pratiques actuelles et renforcer la protection de la famille, un objectif central du législateur marocain.

Pour répondre aux questions citées ci-dessus, il semble opportun d’étudier en premier lieu le mécanisme de conciliation instauré par le législateur marocain et mobilisé par le système judiciaire pour préserver la stabilité de la famille marocaine (1), avant d’approcher en second lieu la médiation familiale en tant que méthode alternative susceptible de contribuer à la résolution des litiges conjugaux (2).

  1. La conciliation judiciaire: un mécanisme efficace ou une simple formalité ?

L’instauration d’une procédure judiciaire pour la tentative de conciliation traduit la volonté du législateur de préserver la stabilité de l’institution familiale et la cohésion sociale. C’est dans ce sens que le code de la famille de 2004 fait obligation aux époux de tenter une conciliation dans tous les cas de divorce sauf  pour motif d’absence du mari (1.1). Cependant, la pratique de cette mesure au sein des tribunaux fait ressortir des limites qui entravent d’atteindre les objectifs escomptés (1.2).

  • La conciliation dans les affaires de divorce : cadre juridique

Compte tenu des effets néfastes de la dissolution du mariage sur la famille et sur la société dans son ensemble, le législateur s’efforce de protéger cette institution notamment à travers la préservation des droits de l’épouse et des enfants contre tout abus. En atteste, l’instauration d’une procédure de conciliation, qui revêt un caractère obligatoire dans l’ensemble des affaires de divorce, où le juge de la famille tente de résoudre à l’amiable le conflit conjugal et de convaincre les époux de renoncer à leur décision de séparation. Ainsi, nous retrouvons la tentative de conciliation dans les cas : du divorce sous contrôle judiciaire (Cf. articles 81 & 82 & 83 & 89), du divorce judiciaire «TATLIQ» (Cf. articles 94 & 95 & 113), du divorce par consentement mutuel (art.114) et du divorce par khol’ (art. 120).

En somme, le lien conjugal ne peut être considéré comme rompu que par l’obtention au préalable d’une autorisation du tribunal ou via un jugement qui traduit l’échec de l’ensemble des procédures judiciaires visant à réconcilier les époux.

Les époux engagés dans une procédure de divorce, sauf  dans le cas où le mari est absent, sont tenus, après convocation du tribunal, de se présenter à une audience de conciliation en chambre de conseil. Pour l’assister dans les tentatives de réconciliation, le juge peut nommer deux arbitres parmi les membres de famille des deux conjoints ou toute personne qualifiée. Le tribunal peut également solliciter l’appui du conseil de la famille[6] afin de mettre en évidence les causes profondes du litige entre les parties.

Aux termes de l’article 82 du code de la famille, deux tentatives de conciliation sont à prévoir, espacées d’une période minimale de 30 jours, en cas d’existence d’enfants. Si une réconciliation a lieu, il est nécessaire de dresser un procès-verbal qui doit être certifié par le tribunal afin de pouvoir s’y référer ultérieurement si nécessaire. Ledit rapport expose clairement les causes du litige conjugal ainsi que les solutions convenues pour résoudre le différend. Si la tentative de conciliation n’aboutit pas, les deux arbitres rédigent un rapport qu’ils transmettent au tribunal afin de prendre les mesures nécessaires telles que dictées par la loi.

La même tendance est confirmée par l’article 94 qui incite le tribunal à tenter une conciliation lorsque les deux époux ou l’un d’eux sollicite son aide pour apporter une solution au différend les opposant.

Le tribunal pourrait éventuellement faire appel aux services des conseils locaux des oulémas afin d’appuyer ses efforts de réconciliation entre les époux[7]. Pour les Marocains résidants à l’étranger, le juge est habileté à faire appel aux consulats pour déclencher une procédure de conciliation[8].

Malgré les efforts consentis pour endiguer le phénomène de divorce, le constat reste alarmant, puisque les affaires de divorce auprès des différents tribunaux du Royaume sont passées de 72.000 dossiers en 2016 à 126.000 en 2021, soit une hausse de 75%[9]. Quant aux cas de réconciliation auprès des tribunaux, ils ont connu une baisse importante passant de 20.000 cas en 2016 à 15.000 en 2021[10], suscitant ainsi de nombreuses interrogations quant à l’efficacité du mécanisme de conciliation dont les limites sont de plus en plus critiquées.

  • Les limites de la procédure de conciliation

Bien que la procédure de conciliation offre un potentiel significatif pour résoudre les litiges conjugaux et faire diminuer le nombre important des cas de divorce au Maroc, il est important de reconnaître que la mise en pratique de cette procédure fait ressortir des limites majeures.

L’une des principales limites de ladite procédure est liée à la pression exercée sur les sections de la famille pour traiter un grand nombre de dossiers en un temps limité imposé parfois par l’obligation de respecter les délais édictés par le code de la famille.

Cette pression est accentuée par la faiblesse du nombre des magistrats exerçant au sein des sections de la famille. Ainsi, au titre de l’année 2021, 727 magistrats dont 265 seulement, soit 36.45%, sont chargés exclusivement des affaires de la famille[11]. Ce nombre réduit impacte négativement le temps imparti aux tentatives de conciliation entre les époux.

D’autant plus que ces magistrats jouent le double rôle du conciliateur et du juge sans avoir forcément les techniques et les compétences requises notamment en matière de communication et de gestion des conflits pour réussir une tentative de conciliation. De surcroît, l’exigence de neutralité et d’objectivité du juge rend difficile son implication active dans le processus de réconciliation.

Il va sans dire que la perception courante du tribunal en tant qu’espace de conflits plutôt que de réconciliation ne facilite pas la tâche au juge chargé de concilier les époux. Traditionnellement, le tribunal est souvent associé à un cadre de règlements de différends, où les litiges sont résolus par des décisions judiciaires, renforçant ainsi l’idée d’une opposition entre les parties en conflit. Cette situation crée une atmosphère peu propice à la réconciliation, en particulier lorsqu’il s’agit de conflits ayant un caractère personnel ou intime.

La pratique a aussi démontré que la désignation de deux arbitres parmi les membres des familles des époux engagés dans une procédure de divorce ne contribue guère aux efforts déployés par le tribunal pour concilier les époux. Notons, à ce propos, que pour contourner cette difficulté, le juge est habilité à faire appel à l’assistant social dont le rôle se résume souvent à l’écoute des époux et la consignation de ses observations dans un rapport à remettre au juge de la famille.

Par ailleurs, il convient de mentionner que le recours au conseil de famille, tel que prévu par l’article 82 du code de la famille, fait défaut dans la pratique. S’y ajoute d’autres lacunes qui se manifestent notamment par le manque de coordination avec les conseils locaux des oulémas, ce qui entrave la réalisation des objectifs escomptés de la procédure de réconciliation entre les parties impliquées dans les affaires de divorce.

Face à ces défis, il semble primordial, dans le cadre de la réforme imminente du code de la famille, d’envisager des alternatives plus fiables à la conciliation judiciaire qui s’avère insuffisante face à l’augmentation du nombre des affaires de divorce traitées par les sections de la famille.

Aujourd’hui, la médiation familiale émerge comme un mécanisme qui offre aux époux la possibilité de résoudre leurs différends en dehors du cadre judiciaire, favorisant ainsi un processus plus consensuel et adapté aux besoins du couple en conflit.

  1. La médiation familiale: méthode alternative de résolution des litiges conjugaux

La procédure de conciliation aménagée par le législateur n’a manifestement pas eu l’effet escompté sur la réduction des affaires de divorce. D’où, la nécessité de mettre en place un dispositif pouvant freiner ce phénomène inquiétant qui menace la stabilité de la famille marocaine (2.1), et ce, à l’instar d’autres pays qui ont eu recours à cette méthode alternative de règlement des conflits familiaux (2.2).

  • La médiation familiale: un dispositif prometteur à adopter

Lors de son Discours à l’occasion du 56ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple le 20 août 2009, le Roi a appelé au développement des modes alternatifs de règlement des différends comme la médiation, l’arbitrage et la conciliation.

En outre, le système de médiation a été intégré dans le Code de procédure civile par la loi n°08-05 modifiant le chapitre VIII de la loi. Aux termes de l’article 327-55, les parties peuvent, afin d’éviter ou de régler un différend, s’accorder sur la nomination d’un médiateur chargé de faciliter la conclusion d’une réconciliation afin de mettre fin au conflit.

Certes cette loi confirme l’évolution du concept de la médiation dans le cadre juridique. Cependant, elle demeure insuffisante car elle ne spécifie pas la médiation familiale comme dispositif reconnu par la législation marocaine.

Ainsi, plusieurs voix se sont élevées afin d’adopter une loi sur la médiation familiale compte tenu de l’insuffisance manifeste de la procédure de conciliation dans le règlement des litiges familiaux notamment les affaires de divorce. La médiation familiale étant considérée comme un moyen prometteur de consolidation des liens familiaux et de résolution des conflits.

La charte de la réforme du système judiciaire adoptée en 2013 recommande vivement la mise en œuvre de mécanismes de conciliation et de médiation familiale dans les contentieux liés à la famille[12].

L’adoption de ces modes alternatifs devrait impacter positivement le système judiciaire marocain notamment les sections de la famille relevant des tribunaux de première instance. La promotion de la procédure de médiation familiale pourrait avoir comme conséquence positive la résolution d’un nombre important des cas portés devant les tribunaux, d’une manière plus rapide et à moindre frais, aussi bien pour l’institution judiciaire que pour les parties.

Dans ce cadre, un mémorandum sur la médiation familiale a été présenté en 2018 par l’Association Marocaine de lutte contre la Violence à l’Egard des Femmes (AMVEF) en vue de généraliser ce concept et institutionnaliser sa pratique[13].

Ce mémorandum avance que la médiation répond aux aspirations de la société marocaine qui souhaite maintenir les liens familiaux et permet d’éviter de recourir systématiquement à la justice pour résoudre les conflits. Ce mode alternatif de règlement des litiges offre la possibilité d’établir une communication entre les parties concernées et d’apporter des réponses adaptées. Le système judiciaire traite les problèmes périphériques à une séparation mais sans parvenir à résoudre le conflit original, d’où l’importance cruciale de la médiation[14].

L’intérêt de la médiation familiale réside dans le fait qu’elle offre aux époux en conflit la possibilité de trouver des solutions mutuellement acceptables et conformes à la loi en vigueur[15].

De ce fait, la médiation familiale, en tant que mode de résolution pacifique des conflits dans le domaine de la famille, mérite une attention particulière de la part du législateur, de par ses effets bénéfiques sur l’institution familiale et la société tout entière. En témoigne, les expériences de certaines associations de la société civile[16] qui ont développé des services de la médiation familiale au Maroc. Ces initiatives restent insuffisantes vue l’ampleur des affaires enregistrées quotidiennement par les sections de la famille.

Le législateur est invité donc à introduire la médiation familiale dans le dispositif législatif national éventuellement dans le code de la famille tout en apportant aux professionnels de la médiation ou les médiateurs l’appui nécessaire.

L’objectif majeur est d’accompagner les parties impliquées dans un conflit conjugal (divorce, pension alimentaire, droits de visite des enfants, partage des biens etc.) voire familial afin de résoudre de manière pacifique et respectueuse leurs conflits, tout en tenant compte des valeurs et intérêts personnels de chacun notamment ceux des enfants.

Cela dit, la médiation familiale pourrait devenir un mode d’intervention rapide et efficace au service du système judiciaire. Elle permet entres autres[17]:

  • de mettre à jour les malaises et les difficultés pour les uns et les autres, de sortir de la confusion;
  • à chacun de parler de son ressenti, ses attentes, ses peurs, ses besoins…, d’exprimer des émotions fortes dans un cadre suffisamment «contenant» ;
  • de faciliter les échanges entre tous dans le respect des différences, obligeant chaque personne à écouter et tenir compte de l’autre;
  • de rééquilibrer le «pouvoir» entre adultes et enfants, selon leurs places légitimes, en prenant en compte les besoins des uns et des autres;
  • d’améliorer le climat en famille en recherchant un bien-être suffisant pour chacun, par la satisfaction de ses besoins essentiels ;
  • de susciter la recherche des moyens concrets pour sortir des impasses.

 

  • Les bonnes pratiques au niveau international

La médiation familiale a pu réaliser des résultats positifs et encourageants dans les systèmes juridiques et judiciaires étrangers en matière de gestion des conflits conjugaux et de protection des enfants. Le Royaume, considérant son contexte culturel et juridique national, pourrait s’en inspirer et cristalliser son propre modèle qui répond au mieux aux besoins de la famille marocaine.

Cette pratique trouve ses origines aux Etats-Unis, dans une médiation structurée développée par un avocat nommé Coogler, dans les années 1970, qui s’appuie sur les techniques d’arbitrage utilisée dès 1939 pour sauvegarder l’institution de la famille.

La médiation est une démarche utilisée dans les cas de séparations conjugales et de divorces afin de résoudre les conflits entre les adultes et de protéger leurs enfants[18].

Les lois et les habitudes sont différentes d’un État à l’autre, et  c’est  en  Californie  que  naît  la  première  loi  sur  la  médiation  familiale  en  1980. Les litiges familiaux sont «déjudiciarisés» car il ressort de la pratique que les procédures judiciaires créaient des conflits supplémentaires notamment dans le cadre d’un divorce[19].

La médiation, a été introduite, par la suite au Québec (Canada) grâce à un travailleur social, Haynes qui a développé la médiation familiale. Celle-ci se structure grâce aux premières formations de médiateurs familiaux en 1982, la création de l’Association de Médiation familiale du Québec (AMFQ) en 1985 et celle du Comité des organismes accréditeurs en médiation familiale en 1994[20], sachant que la médiation familiale est inscrite dans le code de procédure civile québécois depuis 1993[21].

Notons également, qu’il existe au Canada, des services sous la dénomination «Services de médiation à la famille» qui se trouvent dans  les  Palais  de  justice et jouent un rôle très important dans le règlement des litiges familiaux. Il s’agit du premier service public de médiation familiale, gratuit pour tous.

De surcroit, aux termes d’une loi adoptée en 1997, il est obligatoire de suivre une séance d’information relative à la médiation familiale dans le cas d’un litige relatif  au  mariage ou au divorce. Cette séance d’information peut être soit une séance publique gratuite destinée  à  informer un groupe et organisée par le service de médiation familiale de la cour supérieure, soit une séance privée où le couple concerné bénéficiera des services d’un médiateur.

Les avocats, les notaires, les psychologues,  les  travailleurs  sociaux  et  les  conseillers  en  orientation peuvent devenir des médiateurs familiaux.  Ils  sont tenus d’avoir  une  expérience  professionnelle  de  trois  ans  au  moins,  avoir  suivi  une formation de base et une formation en médiation familiale, et avoir assuré dix mandats de médiation sous la supervision d’un médiateur accrédité[22].

En France, la  médiation  familiale est encadrée tant par des textes légaux que par des institutions créées à cette fin. Inspirée du modèle québécois, cette pratique a commencé à se développer dans  les  milieux  associatifs  privés au début des années 1980.

Le Comité National des Associations et Services de Médiation familiale fut créé en 1991. Il est devenu, la Fédération Nationale de la Médiation Familiale (FENAMEF) en juin 2001. Cette fédération est une association à but non lucratif ayant comme objectif promouvoir la médiation familiale.

Quant au Conseil National Consultatif de la Médiation Familiale, il est chargé de définir le champ d’intervention de la  médiation  familiale,  de  définir  les  règles  déontologiques  de  la  profession, de définir le contenu de la formation et d’agréer les centres de formation, de définir les modes de financements, d’évaluer les apports de la médiation familiale, etc.[23]

Quant à l’Egypte, le législateur prévoit le règlement amiable des conflits familiaux dans la loi n°10 adoptée en 2004 portant sur la création des tribunaux de la famille.

Le recours au règlement amiable précède la judiciarisation du litige, et ce, sous la supervision de bureaux affiliés au Ministère de la Justice qui regroupent des juristes, des assistants sociaux et des psychologues, nommés sur décision du Ministre de la Justice en concertation avec les autres départements concernés par les affaires familiales[24].

Conclusion

Nul ne peut contester que la structure de la famille marocaine subisse actuellement de profondes mutations. En témoigne, l’encombrement des tribunaux par des dossiers portant sur des affaires familiales telles que le divorce, la pension alimentaire et la garde des enfants, pour ne citer que ces cas donnant lieu à des conflits interpersonnels irrésolus et qui peuvent créer d’autres contentieux post divorce.

Les valeurs et les normes sociales qui régissaient autrefois les relations conjugales sont désormais remises en question. Les facteurs contribuant à ces transformations sont nombreux, allant de l’urbanisation croissante, qui favorise l’individualisme, à l’évolution des rôles de genre et des attentes en matière de mariage et de vie de famille.

Par conséquent, les tribunaux sont de plus en plus sollicités pour résoudre les litiges familiaux, ce qui entraîne un engorgement du système judiciaire et des délais d’attente parfois très longs et insatisfaisants pour les parties en quête de résolution du conflit.

Dans ce contexte, il semble judicieux d’explorer des modes alternatifs de règlement des conflits familiaux ou conjugaux de manière à veiller sur les intérêts de toutes les parties concernées, en particulier ceux des enfants.

La médiation familiale se présente comme une solution prometteuse. Elle se trouve indiquée dans tous les litiges familiaux qui résultent d’un divorce, partage des biens, droits de visite des enfants, successions, etc. Cette approche peut éventuellement intervenir soit dans le cadre d’une procédure judiciaire, soit de manière indépendante à celle-ci comme elle pourrait se déclencher sur une démarche spontanée des personnes impliquées dans le conflit ou sur proposition du juge.

Quoi qu’il en soit, l’institutionnalisation de la médiation familiale dans l’ordre juridique national se présente comme une priorité compte tenu du contexte actuel marqué principalement par l’augmentation significative du nombre des cas de divorce traités par les sections de la famille relevant des tribunaux de première instance.

L’intégration de la médiation familiale dans l’arsenal juridique marocain permettrait d’en faire un moyen légal au service des familles en crise. Le contexte semble propice notamment avec la réforme du code marocain de la famille qui verra le jour incessamment[25].

Pour atteindre les objectifs escomptés dont essentiellement la préservation de la cohésion sociale, des mesures supplémentaires doivent être prises par les pouvoirs publics. Il s’agit, entres autres, d’assurer une formation adéquate aux médiateurs familiaux, d’aménager des espaces appropriés pour la résolution pacifique des conflits sans négliger l’importance de la sensibilisation des justiciables quant à l’importance de la médiation familiale dans la préservation de l’unité de la famille, qui demeure le socle de base de développement de toutes les sociétés humaines.

Il est indéniable que la structure de la famille marocaine est actuellement soumise à des transformations profondes. L’encombrement croissant des tribunaux, avec une augmentation des dossiers relatifs aux affaires familiales portant sur le divorce, la pension alimentaire et la garde des enfants, illustre la montée des conflits conjugaux non résolus, pouvant engendrer de nouveaux contentieux post-divorce.

Les valeurs et les normes sociales qui régissaient autrefois les relations entre les époux sont désormais remises en question. Ces mutations sociétales sont influencées par divers facteurs, notamment l’urbanisation croissante, qui favorise l’individualisme, ainsi que l’évolution des rôles de genre et des attentes vis-à-vis du mariage et de la vie de famille.

Face à cette réalité, les tribunaux se trouvent de plus en plus sollicités pour résoudre des litiges familiaux, entraînant ainsi un engorgement du système judiciaire et des délais de traitement souvent longs et insatisfaisants pour les parties en quête de résolution de leur conflit.

Dans ce contexte, il semble pertinent d’explorer des méthodes alternatives de règlement des conflits familiaux, afin de protéger les intérêts de toutes les parties concernées, en particulier ceux des enfants. La médiation familiale émerge comme une solution prometteuse, offrant un cadre pour résoudre divers types de litiges familiaux, y compris ceux liés au divorce, au partage des biens, aux droits de visite des enfants, et aux successions. Cette approche peut être intégrée dans le cadre d’une procédure judiciaire ou se dérouler de manière indépendante, soit à la demande des parties, soit sur recommandation du juge.

Ceci dit, la question suivante s’impose: la médiation familiale est-elle une solution pour préserver la relation entre les époux ou constitue-t-elle une alternative efficace pour résoudre les problèmes post-divorce ? La médiation pourrait, d’une part, constituer un outil préventif visant à maintenir la relation entre les époux tout en facilitant la communication et la négociation avant la rupture. D’autre part, Elle pourrait servir de méthode « réparatrice » après le divorce, en offrant aux parties un mécanisme facilitant la résolution des conflits persistants qui portent souvent sur la garde des enfants, la pension alimentaire et la répartition des biens.

L’institutionnalisation de la médiation familiale dans l’ordre juridique marocain apparaît comme une priorité, particulièrement face à l’augmentation significative des cas de divorce traités par les tribunaux de première instance. L’intégration de la médiation familiale dans le cadre légal marocain permettrait d’offrir un recours structuré aux familles en crise. Le moment semble propice, notamment avec la réforme imminente du Code marocain de la famille.

Pour atteindre les objectifs visés, notamment la préservation de la cohésion sociale et la stabilité de l’institution familiale, des mesures supplémentaires sont nécessaires. Cela inclut la formation adéquate des médiateurs familiaux, l’aménagement d’espaces appropriés pour la résolution pacifique des conflits, ainsi que la sensibilisation des justiciables à l’importance de la médiation familiale pour maintenir l’unité de la famille, qui demeure le socle de base pour le développement de toutes les sociétés humaines.

 

Bibliographie:

اكيج، م. (2020 .(مدونة الأسرة بعد سنوات من التطبيق: نظرات في المبادئ الناظمة والإجراءات المنظمة شمس برينت.

المجلس الأعلى للسلطة القضائية (2023 .(تقرير حول القضاء الأسري بالمغرب 2017-2021

مجلس النواب (2022 .(الدراسة الميدانية الوطنية حول القيم وتفعيلها المؤسسي: تغيرات وانتظارات لدى المغاربة، القيم وسؤال التنمية في المجتمع المغربي الحصيلة والآفاق. دراسة وثائقية. دار أبي رقراق للطباعة والنشر.

وزارة العدل والحريات. المناشير والدوريات والنماذج التطبيقية المتعلقة بمقتضيات مدونة الأسرة الصادرة منذ دخول مدونة الأسرة حيز التطبيق (5 فبراير 2004)

Code de la famille: version consolidée en date du 4 février 2016

Code de procédure civile: version consolidée en date du 6 juin 2013

Décret n° 2-04-88 du 14 juin 2004 relatif à la composition et aux attributions du conseil de la famille (B.O n° 5358 du 6 octobre 2005)

La Haute instance du dialogue national sur la réforme du système judiciaire (2013). Charte de la réforme du système judiciaire

Webographie:

BAUGNIET, N. (2008). La Médiation familiale: mode de règlement des conflits familiaux. https://www.cairn.info.eressources.imist.ma/la-mediation-familiale–9782804155353.htm

GASSEAU, C. (2018). La Médiation familiale: une formation spécifique pour pratiquer une médiation menant à un apaisement du litige familial. In: La Médiation civile: alternative ou étape du procès? http://books.openedition.org/puam/3123

MAP EXPRESS (2018). Présentation à Casablanca d’un mémorandum sur la médiation familiale. http://www.mapexpress.ma/actualite/societe-et-regions/presentation-a-casablanca-dun-memorandum-sur-la-mediation-familiale.

ROUSSEAU, V. (2010). La Médiation familiale en France: quand l’évaluation des besoins et des ressources interroge les pratiques de terrain.  https://www.cairn.info/revue-connexions-2010-1-page-77.htm#s1n4.

SAKHI, H. (2018). L’AMVEF présente son mémorandum sur la médiation familiale. https://lematin.ma/journal/2018/lamvef-presente-memorandum-mediation-familiale/286063.html.

SAVOUREY, M. (2007). La Médiation familiale. https://www.cairn.info.eressources.imist.ma/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2007-8-page-15.htm#s1n2

 

 

 [1] مجلس النواب (2022). الدراسة الميدانية الوطنية حول القيم وتفعيلها المؤسسي: تغيرات وانتظارات لدى المغاربة، القيم و سؤال التنمية في المجتمع المغربي الحصيلة والآفاق. دراسة وثائقية. التقرير الأول. منشورات مجلس النواب. الرباط: دار أبي رقراق للطباعة والنشر، ص. 21

[2] Cf. Discours de SM Le Roi Mohammed VI à l’ouverture de la deuxième année législative  de la 7-ème législature 2003

[3] Il s’agit d’une dissolution du mariage, par déclaration, exercée soit par l’époux, l’épouse ou les deux sous le contrôle judiciaire (divorce par consentement mutuel, divorce à l’initiative de l’un des époux, divorce moyennant compensation «Khol’»)

[4] Le divorce judiciaire est décidé par le tribunal via un jugement (divorce en raison de discorde «chiqaq», divorce pour manquement par le mari à l’une des obligations du mariage, divorce pour vice rédhibitoire, divorce judiciaire par suite de serment de continence ou de délaissement).

[5] Cf. Chapitre III du code de procédure civile: des procédures en matière de statut personnel

[6] Selon le Décret n° 2-04-88 du 14 juin 2004 relatif à la composition et aux attributions du conseil de la famille (B.O n° 5358 du 6 octobre 2005), le conseil de la famille est composé des membres suivants:

  • le juge, président;
  • le père et la mère, le tuteur testamentaire ou le tuteur datif;
  • 04 membres désignés, par le président du conseil de la famille, à égalité, parmi les parents ou alliés du côté du père et de celui de la mère ou du côté de l’époux et de celui de l’épouse selon les cas. Il peut être constitué uniquement parmi les parents ou alliés d’un seul côté si ceux de l’autre font défaut.

[7]  منشور لوزير العدل عدد 24 س 2 بتاريخ 24 دجنبر 2010 حول التنسيق بين أقسام قضاء الأسرة والمجالس العلمية من أجل التعاون على إصلاح ذات البين بين الزوجين. المناشير والدوريات والنماذج التطبيقية المتعلقة بمقتضيات مدونة الأسرة. ص.26

[8] منشور لوزير العدل عدد 13 س 2 بتاريخ 12 أبريل 2004 حول تطبيق مقتضيات مدونة الأسرة على أفراد الجالية المغربية المقيمين بالخارج. المناشير والدوريات والنماذج التطبيقية المتعلقة بمقتضيات مدونة الأسرة. ص.85

[9] Ces données statistiques sont tirées d’une conférence – disponible en ligne- organisée le 11.03.2023 à Casablanca, par l’Association marocaine des femmes juges sur «La Médiation familiale et la stabilité de la famille»

[10] Idem

 [11] المجلس الأعلى للسلطة القضائية (2023). تقرير حول القضاء الأسري بالمغرب 2017-2021، ص.76

[12] La Haute instance du dialogue national sur la réforme du système judiciaire (2013). Charte de la réforme du système judiciaire, p. 172

[13] MAP EXPRESS (2018). Présentation à Casablanca d’un mémorandum sur la médiation familiale. [En ligne]. Disponible sur le site: http://www.mapexpress.ma/actualite/societe-et-regions/presentation-a-casablanca-dun-memorandum-sur-la-mediation-familiale. [Consulté le 29.05.2023]

[14] SAKHI, H. (2018). L’AMVEF présente son mémorandum sur la médiation familiale. [En ligne]. Disponible sur le site: https://lematin.ma/journal/2018/lamvef-presente-memorandum-mediation-familiale/286063.html.  [Consulté le 29.05.2023]

[15] GASSEAU, C. (2018). La Médiation familiale: une formation spécifique pour pratiquer une médiation menant à un apaisement du litige familial. In: La Médiation civile: alternative ou étape du procès? [En ligne]. Disponible sur le site: http://books.openedition.org/puam/3123 [Consulté le 30.05.2023]

[16] Nous citons à titre d’exemple : l’Association Marocaine d’Appui à la Famille (Centre Sanad/Casablanca), l’Association Alhidn (Casablanca), Association Karama (Tanger), etc.

[17] SAVOUREY, M. (2007). La Médiation familiale. [En ligne]. Disponible sur le site: https://www.cairn.info.eressources.imist.ma/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2007-8-page-15.htm#s1n2. [Consulté le 30.05.2023]

[18] ROUSSEAU, V. (2010). La Médiation familiale en France: quand l’évaluation des besoins et des ressources interroge les pratiques de terrain. [En ligne]. Disponible sur le site: https://www.cairn.info/revue-connexions-2010-1-page-77.htm#s1n4. [Consulté le 30.05.2023]

[19] BAUGNIET, N. (2008). La Médiation familiale: mode de règlement des conflits familiaux. [En ligne]. Disponible sur le site: https://www.cairn.info.eressources.imist.ma/la-mediation-familiale–9782804155353.htm. [Consulté le 30.05.2023]

[20] ROUSSEAU, V. (2010). Op. Cit.

[21] BAUGNIET, N. (2008). Op. Cit.

[22] Idem

[23] BAUGNIET, N. (2008). Op. Cit.

[24] إكيج، م. (2020). مدونة الأسرة بعد سنوات من التطبيق: نظرات في المبادئ الناظمة والإجراءات المنظمة. سلا، شمس برينت، ص. 217

[25] Il y a lieu de préciser dans ce cadre qu’une Lettre Royale a été adressée au chef du gouvernement le 26 septembre 2023 pour lui confier la responsabilité de la conduite du projet de réforme du code marocain de la famille. Après avoir achevé ses missions, l’Instance chargée de la révision dudit code a remis au Chef du gouvernement, le 30 mars 2024, les propositions retenues, après audition des différents acteurs des organisations de la société civile œuvrant dans le domaine de la femme, de l’enfance, des droits de l’Homme, ainsi que des partis politiques, des centrales syndicales, des magistrats, des acteurs, des chercheurs, des académiciens et des établissements et départements ministériels. Ces propositions sont soumises à la Haute appréciation de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.